• Colloques / Journées d'études,

L'étranger et le droit ; ce que l'altérité fait au droit

Publié le 22 septembre 2015 Mis à jour le 13 mai 2016
Date(s)

le 9 octobre 2015

Lieu(x)

Bâtiment Simone Veil (F)

Salle des commissions (F 142)
L’Enfer, c’est les autres … Dans son Théâtre des situations, Sartre expliquait le sens de sa déclaration qui, loin de stigmatiser l’autre, insistait sur son importance dans la constitution de soi, sur la nécessité de connaître cet autre pour parfaire sa propre connaissance. Le discours est connu, se décline dans des registres aussi variés que la philosophie, la littérature ou la psychanalyse. Mais la science juridique a peut-être trop délaissé cette quête de l’altérité, occupée qu’elle était pendant longtemps à travestir son histoire pour promouvoir celle d’une culture juridique française, articulée autour d’un droit porteur des valeurs de la Nation.

Peut-être parce que le mot droit procure cette sensation de familiarité et de sécurité que donne un objet multi-séculaire, son analyse campe trop souvent à l’intérieur de ses frontières, tant géographiques que disciplinaires. Pourtant le droit est un objet finalement bien étrange et plutôt que de le réduire à un singulier, il faut en mesurer l’hétérogénéité.

Un courant de la doctrine propose de s’interroger sur la fabrique du droit, une invitation à entrer dans les divers lieux où se fait la norme, à rencontrer ses différents artisans. Dans cette perspective, une des voies à suivre est celle qui part à la recherche d’acteurs oubliés, car volontairement méconnus, à savoir les étrangers comme acteurs de la norme.

Sans doute quelques noms sont-ils bien connus, porte-voix d’un comparatisme de bon aloi, mais ceux que nous voudrions ici convoquer sont les figures de l’ombre, les étrangers écartés dans les recoins de l’histoire. L’enquête en forme de cosmopolitisme juridique vise donc à reconnaître et à souligner les influences exogènes dans la constitution de notre système juridique. L’analyse peut être menée directement, de façon objective, sous forme d’interrogation relative à l’origine des normes. Mais elle peut déboucher sur une question plus profonde si nous décalons nos propres repères. Pour cela, il faudra emprunter la posture de l’acteur japonais lorsque par « le regard du regard éloigné », il contemple sa propre figure de loin, cherche à se voir comme s’il était dans le public. Un riken no ken qui contraste avec le gaken, le « regard que porte le moi » -, celui auquel invite Claude Lévi-Strauss plutôt que le regard cartésien habituellement porté sur les normes. La différence affecte peut-être la représentation même du concept de droit. Considère-t-on le droit autrement si on le regarde du dehors ? Et cet autre regard pourrait-il expliquer la consécration du bas-latin directum pour désigner ce que l’héritage romain aurait dû logiquement nommer à partir du terme classique ius.

Contrairement à ce qui est trop souvent postulé, le droit n’est pas qu’un discours du pouvoir, un produit de l’esprit développé par une soi-disant élite. Le droit vit, se nourrit d’influences variées, pointillés qui par leur multiplicité composent la vaste fresque. Vu de loin, le tableau est singulier. Faut-il s’en tenir à cette impression ou s’approcher plus près, brouiller les repères pour isoler les éléments qui le constituent ? Le Diable est dans les détails et à l’heure où la crispation des identités nationales menace, il est bon de « sentir la saveur du divers », de souligner les altérités de nos droits nationaux, ou bien avec Montaigne de « frotter et limer sa cervelle contre celle d'Autrui ». La prochaine rencontre du Centre d’Histoire et d’Anthropologie du Droit de Nanterre s’efforcera de comprendre ce que l’altérité fait au droit, un titre en clin d’oeil aux travaux sur le genre menés dans nos murs par le groupe de recherches REGINE (Recherches et Etudes sur le Genre et les Inégalités dans les Normes en Europe).

Mis à jour le 13 mai 2016